Lorsqu'elle m'annonce que Miss Brentwood est partie il y a "bien un an", je crois d'abord à une supercherie. Un an ? Ce n'est pas possible ... La dernière fois que je l'ai vue c'était ... Attendons ... Un ... Deux ... Cinq ... Non, ce n'était pas il y a six mois, j'étais trop occupé avec le boulot à ce moment là. Sept ... ? Non plus ... Huit ... Merde, alors ... Je ne sais même plus. Quoi qu'il en soit, c'est une preuve flagrante d'un manque de professionnalisme que de ne pas informer ses patients de son départ. Je ne la félicite vraiment pas sur ce coup-ci, sincèrement. Et en plus, elle ne reviendra pas. Ça se voit que je suis dépité ? Je crois que ça doit se voir. Si je suis plutôt bon pour masquer mes émotions, ce n'est pas forcément le cas lorsque je suis aussi ... Surpris. Je ne m'attendais en réalité absolument pas à ce scénario. Pas du tout.
Elle m'annonce alors que Miss Brentwood était son mentor. Je la détaille d'un regard méfiant. Qu'est-ce que j'en ai à cirer qu'elle la connaisse depuis sa naissance ? Debbie a beau être de confiance, cela n'empêche que sa propre soeur a décidé de rejoindre un culte de mormons. La confiance, ce n'est pas comme un objet qui se transmet de main en main et de propriétaire en propriétaire : c'est un privilège, attribué de façon nominale à son destinataire. Une fois qu'on l'obtient, la seule façon de s'en défaire, c'est de la briser.
Autant dire que celle que j'avais investi dans Miss Brentwood vient de tomber à l'eau. Malgré tout, voir cette femme (ou plutôt, gamine ?) entrer dans le bureau m'a poussé à en faire de même - allez savoir pourquoi. Elle m'invite alors à m'asseoir. Mais moi je reste debout. Elle se présente. Je peux l'appeler Brynn.
– Miss Rhodes, ça conviendra très bien. Je m'empresse alors d'interjecter : hors de question que je l'appelle par son prénom. J'essaie de sourire mais je crois que je grimace. Qui est cette gamine ? Que fait-elle devant moi ? Elle ne peut pas être qualifiée pour me recevoir, elle a presque le même âge que ma fille ! Bon ... Peut être pas mais bon ... Elle continue de se présenter. Elle a fait un doctorat en ... Criminologie ? J'arque un sourcil. Mais où ai-je atterri ? Suis-je dans un cabinet pour anciens détenus ? C'est quoi ce bordel ? Elle me dit alors s'occuper également de patients qui ont des problématiques plus communes et générales. C'est censé me rassurer, ça ? Je ne me sens pas rassuré pour autant. Malgré tout ... Je ne sais pas. J'ai l'impression de regarder dans un miroir. Ou plutôt, une machine à remonter le temps. Il y a cette fougue et cette ambition ... Cette jeunesse, insolante et insupportable, également. Je me vois moi, il y a quelques années. Je n'avais rien et je voulais tout. Je valais plus que tout l'or du monde dans mon domaine, celui de l'écriture ... Et je le savais. Peut être que cette fille vaut également le détour, après tout. J'ai bien dit peut être. Dans le doute, autant lui laisser une chance. Rien ne m'empêche de partir d'ici à la première idiotie qu'elle me sortira très certainement dans les trente premières minutes, après tout ... Si ?
Elle m'offre finalement un café, que je refuse en m'asseyant.
– Ça ira, merci.
Puis, je regarde les fenêtres. Et les pieds de sa chaise. La pendule, également, contre un mur. Le coussin rouge au bout du canapé. Les titres des livres sur les étagères. La moquette. Le parquet. Je regarde tout ce sur quoi mes yeux veulent bien s'accrocher, tant qu'il ne s'agit pas d'elle.
Et j'attends.
J'attends quoi ?
Je n'en ai pas la moindre idée.